Depuis le 18, l'avance des alliés est interrompue. De Lattre a lancé une offensive pour aller prendre Belfort, il n'a laissé dans la vallée que quelques unités des commandos de Provence pour contenir les allemands nous laissant exposés à la répression.
Le 1er Novembre, les commandos sont aux portes du village, bloqués par la farouche résistance des SS. Certains bressauds vont faire leur Toussaint et rendre une visite à leurs morts dont les tombes sont souvent éventrées...
Le 2 il pleut à nouveau, la Clairie est violemment bombardée la nuit.
Le 3, c'est le déluge de feu, les tirs de barrage se succèdent. Pendant 2h, 4000 obus sont déversés suivis plus tard de 2000 obus en 17 minutes.
Le lendemain , maman rentre à la maison , avec notre petit frère. C'est seulement à la lumière du jour qu'elle s'aperçoit qu'il a les narines noires comme un échappement de diesel, à respirer l'atmosphère de l'éclairage aux bougies!
Les jours se suivent et se ressemblent. Il pleut à torrent et souffle un vent violent. Le découragement gagne la population. Quand serons-nous libérés?
Mercredi 8 Novembre,
Tous les hommes de la commune de 16 à 65 ans doivent partir immédiatement pour aller creuser des tranchées sur les crêtes dit-on. Une chasse à l'homme impitoyable commence. Ils seront une dizaine à échapper au filet et à passer les lignes au péril de leur vie. 483 hommes seront rassemblés devant le parvis de l'eglise (Aujourd'hui,une plaque commémorative indique ce fait)
Au lieu de creuser des tranchées Ils seront déportés vers l'Allemagne, ils échoueront le 11 à Pfortzheim en pays de BADE........Vers une issue dramatique...
Le lendemain, Il neige, l'autorité allemande ordonne à la population restante d'évacuer la ville pour procéder à la destruction planifiée par Himmler, venu à Gérardmer en juillet.
800 femmes, enfants, vieillards prennent le chemin de l'exil encadrés par les feldgrau dans 30 cm de neige, ils bivouaqueront au col de La Vierge à 1067m dans une nuit glaciale sous les obus alors que le village, en bas est en feu. http://www.cheyenne41.com/ a fait le voyage de l'enfer..Ils passeront une dizaine de jours à 4oo par ferme sans nourriture ni soins... Morts de froid, de faim, pieds gelés seront le lot du drame. C'est après ce calvaire qu'ils seront pris en charge et évacués par les américains .
Seule la section du Chajoux où j'habitais qui accueillit 1500 réfugiés fut épargnée . Les allemands n'ont pas eu le temps de nous déplacer.
Les artificiers minent systématiquement les maisons et usines. Tout doit être détruit.
Je me souviens d'avoir assisté à l'opération de minage de l'usine en face de notre ferme. Les artificiers transportaient une bombe de 500 kg sur un chariot qui s'est embourbé dans le pré, une bombe qu'ils ne pourront pas placer . Dans la soirée c'est une énorme explosion qui ébranle le quartier. Par la fenêtre où nous écartons les couvertures de camoufflage, on assiste à l'incendie, comme en plein jour!
Les destructions se poursuivirent jusqu'au 18, c'est seulement le 19 que l'ennemi évacua le village sous la pression alliée. En même temps 1200 habitants privés de toits pouvaient passer les lignes et être évacués vers la Haute Marne.
Pour nous, miraculeusement épargnés,c'est une délivrance . Les troupes des commandos de Provence investissent ce qui reste d'habitable pour passer l'hiver le plus précoce et rigoureux du siècle. Ils trouvent une population malade et anémiée. La plupart des gamins, comme moi, sont couverts d'impétigo, et couverts de poux. Je me souviens des soirées où nos mamans nous changeaient nos bandages et nous passaient au peigne à épouiller après nous avoir raccourci sérieusement la toiture!!!
L'hiver s'écoule dans un calme relatif à retrouver une vie à peu près normale. L'absence de nos pères est pesante mais les mamans assurent.
On entend passer dans le ciel nocturne les vagues d'avions à haute altitude se dirigeant vers l'Est...On observe dans la nuit claire et glaciale les trainées laissées par les avions. Après ces passages on trouve dans la neige, des leurres, ces bandes d'aluminium destinées à brouiller les radars..Les semaines passent, les soldats nous gâtent en friandises, on découvre le chocolat et le chewingum. Ils occupent leurs soirées après une journée de patrouille à chanter et jouer de l'harmonica...en nous faisant sauter sur leurs genoux.
Le printemps finit par arriver ...En Avril, les déportés commencent à rentrer, les nôtres ne reviendront pas.Les trois frères (dont mon père) comme 20 autres de La Bresse font partie des 32000 victimes du bombardement de Pfortzheim...
Nul n'échappe à son destin aussi redoutable soit-il...
Voilà un bout d'histoire et de mon histoire extraite de documents et de mes souvenirs...
Si vous allez sur Google Heart, à La Bresse, vous verrez le théatre de l'histoire comme si vous y étiez...